Éclairages
Un selfie et au revoir
C’était un petit village tranquille, entouré des eaux vert émeraude du lac de Brienz. Mais depuis deux ans, tout a changé. Iseltwald est submergé de touristes coréens investis d’une seule mission: prendre un selfie sur le vieux ponton. L’origine de cet engouement? Une série Netflix.
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Plus que quelques virages sur la route étroite qui longe la rive et le car postal arrive aux abords du village d’Iseltwald. Vue d’en haut, cette commune d’environ 420 âmes ressemble à une langue qui se glisse avec délice dans les eaux vert émeraude du lac. Des chalets, quelques hôtels, un embarcadère. Le soleil pointe le bout de son nez entre deux nuages. «Wow, wow, wow», répètent en boucle deux jeunes Asiatiques, assises tout à l’avant du car postal qui descend la colline en direction du centre du village. Le bus est plein à craquer. Pourtant, cela ne semble pas les déranger. Toutes deux n’ont qu’un seul objectif: prendre un selfie sur le ponton d’Iseltwald. Pour y parvenir, elles iront bientôt rejoindre une longue file d’attente, où elles patienteront jusqu’à ce que vienne enfin leur tour.
Exercice d’équilibriste au cœur du village
Comment faire face à ce déferlement de touristes? En plus de préoccuper les habitantes et les habitants du village, cette question taraude le conseil communal, l’office du tourisme «Bönigen-Iseltwald Tourismus», le service de la navigation BLS et CarPostal. En effet, cette popularité due à la série Netflix coréenne «Crash Landing on You»Target not accessible prend des dimensions quasi impossibles à maîtriser sur le plan logistique. Chaque jour, un nombre incalculable de bus touristiques s’arrêtent sur la place du village, où la manœuvre entre commerce et toilettes publiques relève du numéro d’équilibriste. «Nous avons dédoublé nos courses pour pouvoir amener les voyageurs de Suisse et d’Asie du Sud-Est à destination», explique Ruedi Simmler, responsable des cars postaux dans l’Oberland bernois. Toutes les 30 minutes, un bus part d’Interlaken pour Iseltwald, les courses supplémentaires passant par l’autoroute. «Nous gagnons ainsi du temps», déclare Ruedi Simmler. Lui et son équipe ont été pris par surprise par cette ruée, qui a commencé après la pandémie et s’est même accentuée pendant les mois d’hiver. «À Pâques, nous avons été complètement submergés.»
La naissance d’une passion
Mais de quoi parle donc cette série? «C’est une histoire d’amour entre une Sud-Coréenne et un Nord-Coréen qui se rencontrent pour la première fois sur ce ponton», raconte Ruedi Simmler, qui a regardé les 16 épisodes de la série et lui-même visité les deux pays. «On pourrait la qualifier de série à l’eau de rose, mais elle délivre un message politique fort», souligne-t-il. «Elle décrit le désir de réunification des Coréens.» Personne n’avait prévu que cette série déclencherait un tel enthousiasme pour ce petit village de l’Oberland bernois. Marianna Brunner non plus ne l’avait pas vu venir. «Je n’aurais jamais pensé vivre une chose pareille à 85 ans», affirme la robuste retraitée affairée à ratisser le gravier devant sa maison. Elle secoue la tête. Son terrain est l’un des plus proches du ponton. «Tous les jours, les gens arrivent en masse, prennent ma maison et mon jardin en photo et demandent même à utiliser mes toilettes.» Tout cela avait pourtant commencé de manière assez inoffensive. Pendant le tournage, en 2019, l’équipe du film était venue voir Marianna Brunner pour lui demander de l’électricité. «Nous les avions même laissés mettre un piano dans notre jardin pour tourner leur scène clé», se rappelle l’Iseltwaldoise. Et de jeter un regard à la vieille passerelle en bois, qui n’a, en soi, rien d’exceptionnel. «Ce ponton est là depuis des lustres.» Au début, elle ramassait encore les déchets, mais à présent, elle essaie de prendre ses distances avec ce qui se passe sur le pas de sa porte.
Le selfie désormais facturé
Le personnel de conduite CarPostal est confronté à un autre défi: il doit emprunter la vieille et étroite route lacustre pour emmener les voyageurs d’Interlaken à Iseltwald. Or, à maints endroits, impossible pour deux véhicules de se croiser. Il arrive ainsi qu’un touriste à la chasse au selfie reste coincé avec sa voiture de location, et que le car doive lui-même faire machine arrière. Ce qui, bien sûr, entraîne des retards à Interlaken. «La situation ne peut plus durer», déclare Guido Francioli qui, après une courte pause à Iseltwald, fait embarquer la masse de passagers avant de reprendre l’autoroute en direction d’Interlaken.
Son collègue Marco De Almeida, d’origine portugaise, le prend avec humour. «Il y a du stress positif et du stress négatif», explique-t-il. «Moi, je considère celui-ci comme positif.» Justement, à Bönigen, une locale monte dans le bus déjà plein à craquer. «Prenez donc place en terrasse, il y a même du café!» Dans ces moments-là, les répliques de Marco valent de l’or et aident de nombreuses personnes à patienter jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée pour tout le monde. Une première mesure a déjà été prise: dorénavant, il faudra débourser cinq francs pour accéder au ponton. Un tourniquet de paiement a en outre été installé devant les WC publics. Un système de feux pour les cars postaux et un accès limité, ainsi que des taxes pour les bus touristiques, devraient également améliorer la circulation. Depuis le 1er juin, les 2000 fans de la série qui défilent au quotidien à Iseltwald ont même un privilège: ils profitent des bus à deux étages introduits par CarPostal sur dix lignes express supplémentaires – une première dans l’Oberland bernois. Ces mesures ralentiront-elles le déferlement? Une équipe de tournage thaïlandaise a déjà manifesté son intérêt pour un nouveau projet de film.